Carnet de route Groenland

Cette année, direction l’Arctique à la découverte du Groenland, pays des Inuits. Préparation du voyage et définition de notre itinéraire via un jeu « fait maison ».

Nous commencerons donc par le Sud du Groenland et remonter ensuite au dessus du cercle polaire dans la baie de Disko.

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19 août 2019 Paris/Copenhague

20 août – Narsasuaq/ Narsaq

Le transit à Copenhague et notre hôtel cabin minimaliste est bien à laisser derrière nous. Enfin nous partons pour le Groenland, cette île 4 fois plus grande que la France. L’excitation est à son comble. Nous attendons ce moment depuis janvier, date de l’organisation de cette expédition. L’impatience se lit sur chacun de nos visages. 

L’avion atterrit à Narsarsuaq qui sera notre première rencontre avec le Groenland. Jusqu’à maintenant nous nous racontions des histoires dans notre tête, mais le pied posé sur le tarmac tout devient réalité. Au loin quelques icebergs flirtent sur le bord des rivages, le soleil est avec nous et les 12 degrés annoncés par le pilote sont très supportables. On frime en tee-shirt pour les premières photos mais très vite nous sortons quand même la polaire. 

Le voyage commence, les yeux tout écarquillés dès le transfert à Narsaq sur notre petit bateau Aviaq Ittuk. Nous découvrons les premiers contrastes du Groenland sud : des terres vertes, fertiles, côte à côte avec des fjords au bleu foncé parsemés d’icebergs turquoises.

Notre petit express côtier est traditionnellement conçu pour le transport des locaux au Groenland. A bord avec nous, un prof affecté sur ce village, une orthodontiste qui s’occupe des plus jeunes, un homme qui revient sur son lieu de naissance alors qu’il tient un bar à cocktails à Tokyo et deux autres  locaux.

Nous frôlons ici ou là les icebergs, entourés de chaque côté du fjord (Erick de son petit nom) de montagnes. Le sud du Groenland est réputé pour ses pâturages et ses moutons. Le soleil chauffe, mais l’air marin est quand même frais. 

A peine au contact du Groenland, nous en prenons plein la vue. Les paysages somptueux, les icebergs en quantité, la lumière exceptionnelle …. Au fur et à mesure, les icebergs commencent à être de taille imposante, mais pour les locaux ils semblent assez petits.

Après 2:30 de nav nous débarquons à Nasarq. Le décor est saisissant, on est dans un autre monde ! Des maisons de toutes les couleurs posées sur la montagne, des gens qui sourient, nous saluent dès que nous les rencontrons, un accueil très chaleureux. Le village parait petit mais plutôt étalé. Il est considéré quand même comme la 8ème ville du Groenland (moins de 1500 habitants). Le calme et le silence habitent les lieux. 

Notre hôte nous raconte le village et nous indique qu’à cette époque de l’année nous pouvons apercevoir des aurores boréales par temps clair. Ils en ont vu la veille. Ouah top, mais avec le décalage horaire (4h) et le fait qu’ici on mange très tôt (18h), il n’est que 20h et nous sommes claqués même prêts à se coucher. Pierre propose de se lever vers 2h du matin et de nous réveiller, si des aurores boréales peuvent s’offrir à nous.

21 août – Calotte glacière / Ittileq / Igaliku 

Point d’aurore boréale mais en guise un épais brouillard s’est déposé sur le village durant la nuit. Après un deuxième tour de village où nous avons pu échanger avec la poissonnière, nous partons en excursion vers la calotte glacière (Twin Glacier). L’inlandsis du Groenland recouvre presque 80 % du territoire.

Notre embarcation est toute petite mais file à vive allure à travers la brume slalomant entre les icebergs du breddefiord. Isa n’est pas spécialement rassurée. Notre pilote reste très concentré, un œil sur le radar où la masse des icebergs à venir apparaît au fil de notre avancée.

Le décor époustouflant de la brume sur l’eau avec le bleu des glaces est d’une beauté incroyable. Ce voyage n’a pas fini de nous nous émerveiller. 

Le bateau ralenti et tourne à raz d’un iceberg afin que nous puissions profiter au plus près. Inutile de dire comment les clics des appareils photos fusent dans tous les sens.

La brume se déchire devant nous et nous finissons par accoster sur un petit ponton de bois au fond du fjord. Nous sommes au pied de l’imposante calotte glacière appelé Twin-glacier. Nous débarquons et partons à la découverte de cette immensité, qui il y a 30 ans, se jetait directement dans la mer. Le pied sur la roche d’abord et plus loin après qq efforts de grimpe, la langue du glacier. Les volutes de brume donnent une lumière irréelle, c’est magnifique. Le soleil tape faisant craquer la glace. Nous sommes sur une île minérale entourés de brume qui ajoute de la magie au paysage. On pourrait se croire dans un conte ayant franchi une porte magique qui nous amène vers un territoire inconnu.

Nous poursuivons notre exploration au pied d’une superbe cascade. Nous sommes désormais assis à l’extérieur du bateau sous le soleil mais bien secoué par une mer parfois formée. Direction Igaliku.

Le point d’accès le plus fréquent à Igaliku, est le lieu appelé Itilleq, situé sur le fjord Tunulliarfik et relié à Igaliku par une route de gravier longue de 4 km, appelée la route du roi. Le bateau nous dépose sur un tout petit ponton, on décharge nos sacs.

Le décalage horaire fait crier nos estomacs, et c’est l’endroit idéal pour pique-niquer s’impose. Nous nous installons, assis sur une herbe moelleuse face au fjord où circulent quelques icebergs et de rares bateaux qui assurent la jonction entre les villages. Rien de tel pour une petite sieste avant de repartir.

Une longue marche nous fait franchir la tombée montagneuse qui sépare les 2 fjords. Le paysage est plein de contrastes, des collines verdoyantes et luxuriantes aux déserts de roches stériles et aux terrains montagneux accidentés. La route de cailloux réveille mes tumeurs au pied rendant presque difficile d’apprécier la randonnée. Après 2h de marche, enfin le village d’Igaliku apparaît. C’est un charmant petit hameau (30 habitants), érigé au cœur d’une nature grandiose, sur les rives d’un fjord Einarsfjord. Cette vue imprenable offre un spectacle hors du commun. Juste en face, les paysages désolés et sauvages entourent la montagne Illerfissalik. Tout autour d’Igaliku, les verts pâturages s’étendent à perte de vue. Ce tout petit village classé au patrimoine de l’Unesco représente un paysage unique et une histoire fascinante de l’agriculture dans l’arctique, qui va de la colonie nordique aux éleveurs de moutons groenlandais actuels.

Repas truite arctique, salade (avec légumes du jardin) et pomme de terre. Nous sommes 12 à table et la truite suffit largement, inutile de vous donner son poids. On finit par un succulent brownie servi avec sa glace.

Avec nous durant tout le voyage de Narsaq à Itilleq, une personne à bord d’origine inconnue. Mais qui est cette personne? Notre guide ? Une journaliste pour le routard ? Professeur des écoles ? Et bien rien de tout ça, car au final c’est notre cuisinière et le repas servi au fin fond de ce tout petit village valait vraiment le coup.

Malgré la journée bien remplie, nous tentons un petit tarot. Au bout de 3 tours, tout le monde baillent, normal il est 20:30, on file se coucher dans nos douillettes petites cabines.

22 août Igaliku/ Narsarsuaq

Après une bonne nuit, le réveil est frais. La brume matinale se faufile sur la formation rocheuse résultant de l’érosion glacière. Le thermomètre varie selon sa référence. On calcule entre 5/6 degrés Celsius ou 11 degrés LP ( Pierre Lepontois).

Surplombant le fjord nous optons pour une belle balade dans les pâturages. Outre la grandeur des paysages, nous passons devant quelques vestiges et ruines de la période viking. Ce village incroyablement pittoresque nous a complètement séduits.

Les moins courageux demandent à partir avec le 4×4 du gîte, alors que Pierre se refait à pied le chemin en sens inverse. Notre taxi boat nous ramène à Narsarsuaq où il n’y a vraiment rien à voir à part la piste de l’aéroport. Nous logeons dans l’hôtel Narsasuaq, qui paraît très austère tels les bâtiments d’une ancienne base militaire, mais il reste très fonctionnel. Une cafétéria pour le soir simplifie les choses car à l’heure de notre arrivée l’épicerie est déjà fermée. 

23 août Narsasuaq/ Qassiarsuk/ Qooroq

Petit déjeuner en quantité, nous permettant même de préparer en douce notre pique-nique du midi et c’est parti. En face de Narsarsuaq, à une quinzaine de minutes de traversée, nous débarquons dans le tout petit village de Qassiarsuk (49 habitants) également connu sous le nom de Brattahlið où se trouvent des restes du village où Erik le Rouge fonda sa colonie en 932. 

Plusieurs quads circulent, certain venant remplir des jerricans à la pompe à eau collective. Et oui l’eau courante n’est pas partout et nous mesurons encore plus ici, combien l’eau est un bien précieux.Quelques maisons et fermes, une épicerie et le tour du village est vite fait. Nous traversons les champs de moutons, pour nous hisser en haut de la colline et profiter du paysage sur le fjord et les icebergs. 

Accompagnés d’une habitante de ce minuscule village, nous visitons la reconstitution de l’église de Tjödhil au temps des vikings et la maison d’Erik le Rouge en tourbe où vivaient ensemble 40 personnes. Les vêtements et outils d’époque y sont également présentés. L’étroitesse des lieux pour autant de personnes impressionne.

Nous profitons de la table extérieure de l’école pour installer le pique-nique. L’école attire forcément mon regard. Une classe où les tables forment un carré. Peu de sièges autour probablement en référence au nombre d’élèves accueillis, à savoir environ 8 chaises. Une télévision, un ordinateur et un simple paper-board en guise de tableau sur lequel des ateliers écrits en anglais figurent. Le bâtiment d’en face abrite des lits superposés, une cuisine, un salon. On imagine les enfants en internat avec une rotation probable dans la salle de classe.

14:10, notre bateau revient nous chercher et nous partons pour l’Icefjord Qooroq. S’il y a bien une navigation à ne pas louper, c’est celle-là et peu importe la météo. Nous sommes tout de suite abasourdis et émerveillés par ces géants de glace aux mille nuances de blanc et de bleu et aux formes insolites, dépassant parfois de la taille d’un beau paquebot.

Le bateau se fraye un passage sinueux entre la glace ici ou là, et quelquefois cela tape même la paroi du bateau. Le moteur est alors coupé, un silence majestueux s’installe et nous sommes comme pris dans la banquise. La beauté des lieux est tout aussi incroyable que somptueuse.

Notre capitaine récupère de la glace pour lever le verre de vin au Groenland. En s’échappant dans le verre, les bulles millénaires libèrent de petits crépitements. Fabuleux cette immensité… la quantité de glace déversée par le glacier dans le fjord (200 000 tonnes par jour) entame alors sa route au gré des vagues et du vent. Un voyage extraordinaire au pays  des icebergs.

24 août Narsasuaq / Nuuk 

Une journée où nous avons le temps d’une rando avant l’avion. Malheureusement toutes les randos ici sont conséquentes, grimpent et comptent plusieurs heures. Nous optons pour Flowers Valley. Nous découvrons que l’été arctique laisse place à une flore qu’il faut savoir observer. Linaigrettes et autres fleurs jalonnent notre parcours.

Nous apercevons les installations des chercheurs étudiant la flore. La tourbe est aussi présente et parfois très épaisse. Nous marchons probablement en forêt, mais ici les arbres dépassent rarement les 20 centimètres, aucun risque de se perdre ! Au bout d’un chemin de pierres, nous arrivons sur un immense cirque entouré de montagnes et de moraines. Nous nous arrêterons là, sans descendre vers le glacier. Nous récupérons Pierre qui a tenté l’aventure en allant plus loin. Le temps change et un vent arrivant du glacier commence à se lever. 

Point final pour le sud du Groenland. Nous prenons l’avion pour Nuuk puis demain matin nous passons le cercle polaire pour rejoindre illulissat où nous embarquerons sur notre voilier la Louise.

Arrivée à Nuuk, nous devons trouver l’appartement que nous avons loué. Nous prenons un taxi. Il roule vers la ville et d’un seul coup, on ne sait pas pourquoi, il tourne à gauche dans une zone d’Activité et se gare devant un atelier de réparation de bateaux et nous dit : « c’est là ». Moment de flottement dans le taxi, mais après vérification à l’étage nous attendait un superbe appartement spacieux et très bien aménagé. Nuuk apparaît comme une ville moderne où fleurissent déjà des immeubles en béton, la marina, beaucoup de voitures également… ce qui change radicalement avec tout ce que nous avons vu jusqu’à présent. Premier repas fait maison par Pierre, avec des sardines, pâtes au beurre steak haché et coucouche panier, demain lever 4:00.

25 août – Nuuk/ Ilulissaat – Baie de Disko 

4:00 Dur réveil, douche, café tartine et le taxi nous attend pour aller à l’aéroport. Nous regrettons de ne pas avoir le temps de profiter de ce magnifique appartement et découvrir cette ville, capitale du Groenland. Mais il fallait faire des choix et avons privilégié d’être au plus près des locaux dans les villages.

Arrivée à Ilulissaat, la dite capitale des icebergs, sous un grand ciel bleu. Nous cherchons la Louise, notre voilier sur le port. Elle ne devrait pas passer inaperçue cette goélette de 40 tonnes, longue de 19 mètres. Le temps de déposer nos sacs et c’est reparti pour une randonnée avant d’entamer notre navigation d’une semaine.

En traversant la ville pour rejoindre le départ de la randonnée, nous sommes surpris par les chiens enchaînés à leur niche à l’extérieur de la ville dans un immense terrain. Nous avions déjà vu cela au Spitzberg. Il est vrai qu’en France, nous sommes élevés dans la culture du chien ami, alors qu’au Groenland, l’husky est un chien outil/travail. Ils accompagnent les Inuits sur la banquise. Jusqu’à l’âge de six mois, les chiens vivent sans laisse et côtoient les humains. D’ailleurs plusieurs sont là autour de nous, recherchant les caresses des uns et les autres.

Un long chemin de planches (balisé bleu) nous amène à Icefjord Sermermiut, sortie du glacier Sermerq Kujallec plus grand producteur de glace de l’hémisphère nord. Son vêlage annuel de plus de 35 km3, soit 10 % de toute la glace de vêlage (les icebergs) du Groenland, dépasse celui de tous les autres glaciers du monde en dehors de l’Antarctique.

Nous sommes au cœur de notre expédition, au pied d’immenses murs de glace de plusieurs dizaines de mètres de haut. Un chaos de glace s’offre à nous et nous laisse sans voix. Nous assistons à un phénomène naturel spectaculaire et grandiose. Dans l’immensité, des montagnes de glaces s’entassent, s’entrechoquent, se bousculent, attendant de pouvoir atteindre la sortie du fjord pour entamer leur périple sur la mer. Rien à voir avec les glaciers du sud du Groenland, ici tout n’est que démesure, le temps est suspendu. Le spectacle est incroyable, avec des gerbes d’icebergs grands comme des îles, parfois si hauts que leurs sommets ressemblent à des montagnes enneigées. Parfois des détonations viennent troubler le calme. C’est un pan de glace qui s’effondre. Magnifique lieu pour prendre le temps d’observer et d’écouter puis de pique-niquer devant ce fouillis de blocs gelés infranchissables.

Le sentier jaune tout aussi magnifique, de la plaine de tourbe aux champs de linaigrettes (sorte de petite fleur duveteuse), en passant par les dalles de granit, nous évoluons sur un terrain bien plus compliqué, on oublie les chemins de planches pour un chaos rocheux, épuisant à la longue. Épuisant est un faible mot, car pour ma part je suis profondément déstabilisée. Je ne pense pas avoir les forces pour ce type de voyage et malgré la beauté des lieux, une folle envie d’abandonner m’agrippe. La douleur au pied est de plus en plus intense, sans compter que le physique ne suit pas non plus la cadence des copains marcheurs de tous les jours. Se sentir tel un boulet ne fait que raviver l’envie de mettre un point final. Peut-être ai-je trop présumé de mes capacités et ma copine Marie-Christine a finalement bien eu raison d’annuler sa participation. Les paysages spectaculaires que nous découvrons valent-ils la douleur endurée lors de toutes ces marches difficiles? Là, il me faudrait un sceau d’eau glacé pour anesthésier mon pied et les décharges électriques qui innervent mes orteils. 

En partant nous caressions le rêve d’approcher à nouveau les baleines, on se lasse je crois jamais de ce spectacle. Le long du chemin nous les apercevons de façon furtive à plusieurs reprises en lisière de glace. On entend un souffle puis un autre ce qui nous permet de les repérer. Elles sont loin mais espérons les approcher de beaucoup plus prêt dans les prochains jours.

Je termine cette randonnée à la limite de l’épuisement total, me valant quand même une petite crise de nerfs et revenons par Ilulissaat et ses maisons colorées. 

Installation sur la Louise avec le casse-tête de faire tenir nos affaires dans les coffres. Nos duvets n’attendent plus que nous !  Vais-je rester où attendre tranquillement à illulissat que notre groupe revienne de croisière? Bruno ne conçoit pas de rester si je décide d’arrêter notre expédition. Impossible d’anéantir son rêve de reprendre la mer, qui plus est, au Groenland.

L’équipage du bateau : Thierry (skipper), Dédé (second), 4 jeunes attirés par ce type de paysages après avoir fait l’Islande (Prisca, Thibault, Sam, Thierry) et nous 4 (Isa, Pierre, Bruno et Mag).

Briefing pour cette semaine et c’est parti.

26 août – Ilulissaat – Eqi

Après une première nuit pas simple à tourner dans le duvet, se caler dans la couchette, petit déjeuner à 8:00 pour larguer les amarres à 9:00. Beau soleil, mais comme nous nous y attendions, la fraîcheur sur l’eau est là. C’est une pointe d’appréhension mêlée à de l’excitation qui me saisit en quittant le village par la mer. 

Nous avons déjà l’impression de flotter entre les icebergs et le ciel. Puis déjà on stoppe la Louise car à peine le port quitté, nous rencontrons plusieurs baleines, elles sont là au bord des icebergs. Si leurs souffles sont puissants, le nôtre est coupé. Sur le pont, nous les observons chasser ou se nourrir paisiblement sous l’iceberg qui en avançant déplace la nourriture qu’il leurs faut. Nous pouvons voir leurs souffles, puis leurs têtes, leurs corps si longs et bien sûr leurs queues quand elles replongent. Un spectacle magique et apaisant à la fois, mais il faut bien continuer notre navigation et laisser la place aux autres.

Nous poursuivons notre navigation vers Eqi situé sur l’icefjord Kangia. Le glacier crache continuellement des monstres de glace hauts comme des montagnes qui dérivent tranquillement dans la baie de Disko. L’iceberg qui a éventré la coque du Titanic est né ici, sur la côte ouest du Groenland. L’immensité des paysages et le manque de repères ne permettent pas d’évaluer facilement les distances et contempler la baie de Disko donne le vertige : les icebergs érodés par le soleil ressemblent véritablement à des chaînes de montagnes posées sur l’eau. Les lumières sont démentes, bleus, gris, palette parfois minimaliste qui n’engendre en rien la monotonie. On pourrait passer la journée à les regarder changer de forme et de texture, polis ou illuminés par le soleil qui les fait fondre.

Les uns après les autres nous rentrons dans la cabine pour ajouter des couches de pulls, coupe-vent, bonnet et gant. Et oui, même si le soleil est avec nous, nous sommes à 69° nord, soit très au-dessus du cercle polaire arctique !

Débarquement en zodiac sur la pointe Eqi et nuit dans l’un des mouillages à Atasund. L’ambiance est agréable à bord, partage d’expériences, de cultures, de voyages… ça rigole bien.

Une tablée très agréable le soir autour des spécialités de Thierry notre skipper. Avec Isa, on voudrait bien les recettes, mais un grand chef cuisinier ne dévoile jamais ses secrets.

Ce soir le rituel des douches entre en jeu. A bord, tout est étudié mais avec justesse. Faire attention à notre consommation d’eau est donc un incontournable. Une douche tous les 2 jours est ainsi prévue. Nous établissons des équipes de 4 pour faire un roulement. Thierry enclenche l’eau chaude, purge les tuyaux en tirant 3 brocs d’eau froide que l’on consommera au repas et c’est parti pour le défiler des douches avec 2 pressions sur le bouton. L’une pour se mouiller, on se savonne et deuxième pressions pour se rincer. 15 litres par personne, pas plus pas moins !

27 août – Île de Disko.

Ce matin départ pour une longue traversée de 55 000 miles pour atteindre Qeqertarsuaq sur l’île de Disko. Le temps est beau et propice à mettre les voiles. Profiter du grand air, bouquiner, écouter de la musique, dormir, chacun varie ses occupations. Mais le temps est long, le vent se lève formant un peu de houle et les premiers maux de mer font leurs apparitions. Nous n’étions pas beaucoup autour de la table pour le midi, chacun essayant de manger un morceau mais finissant par sortir. J’adopte la technique de Thierry mélangée à celle de Dédé, s’allonger sur le pont, les yeux fermés avec des écouteurs pour la musique. On finit presque par s’endormir et ça fonctionne.

Le temps se couvre, au loin nous apercevons l’île de Disco surplombée par les nuages. Deux immeubles de glace sont échoués sur notre chemin à l’entrée du village. La distance ne nous permet pas encore de nous dire s’ils bloquent le passage. Nous nous faufilons et arrivons doucement dans le port de Qeqerttarsuaq.

Les malades émergent des couchettes et découvrent notre mouillage.

Le long du port, de nombreuses constructions de toutes les couleurs abritant une population de 850 habitants. La ville a une multitude de maisons colorées, éparpillées, certaines encore en pierre datent de l’époque coloniale.

28 août – Qeqerttarsuaq (Godhavn)

Nous embarquons sur le zodiac et Dédé nous dépose sur le ponton de Qeqerttarsuaq. Thierry nous a préparé un pique-nique au top avec un cake aux olives, du fromage etc.

Nous pénétrons dans le village très actif qui montre un visage aussi accueillant de l’intérieur que lorsque nous l’avions aperçu à partir du mouillage. C’est parti pour une journée de ballade à musarder entre village et sentiers côtiers sur fond d’icebergs.Une plage de sable noire accueille quelques vestiges des icebergs mastodontes. Un magnifique terrain de foot tout neuf assez anachronique dans le bout du monde avec en toile de fond, les icebergs.

Au détour du chemin, une forte détonation, nous avons le temps d’apercevoir des pans de glace s’écroulant dans la mer et déclenchant un mini tsunami. Il faut être très rapide pour saisir quelques images impressionnantes.

Nous marchons loin de tout, de tous. Ici c’est seulement nous et la montagne, le silence. Les rochers basaltiques en colonnes témoignent d’une histoire volcanique. L’association de ces rochers étranges, du vert profond des plantes, l’orange pourpre des lichens et des icebergs en contrebas est tout simplement fantastique.

Le glacier Lyngmark surplombe la ville, mais contrairement au groupe de jeunes, nous n’irons pas sur les hauts plateaux pour l’admirer.

Retour au village dans une belle lumière de fin d’après-midi. Je me stoppe devant un magnifique tapis de linaigrettes, aux longs poils blancs et brillants. Ici, les températures n’empêchent pas les enfants de manger des glaces, ni les gens d’étendre à l’extérieur leur linge fraîchement lavé. Bruno et Pierre aimerait bien trouver une bouteille de whisky, histoire d’organiser un apéro à bord. Au Groenland, l’alcool est autorisé à la vente, mais dans des conditions extrêmement réglementées, avec un nombre de bouteilles limité par jour et par personne, et surtout certains jours de la semaine uniquement ! Ouf contrairement à Nuuk, nous sommes dans le timing et profitons de l’ouverture du magasin pour acheter une bouteille et quelques gâteaux.

Retour sur le bateau pour partir vers un nouveau mouillage à moins d’une heure de navigation 69°25’ nord. Apéro avec tout l’équipage dans le cockpit, une surprenante douceur nous accompagne et profitons de cette lumière si particulière du soleil du soir. Nous faisons escale dans le superbe mouillage sauvage de Kitdlit (Fortunebay) au sud de Disko, à une heure.

29 août – Fjord de kangerluk- Fortunebay

Balade matinale avant de reprendre le large. Nous marchons sur un tapis continu dans la toundra, mousse, bruyère arctique, lichens, traversons un cours d’eau avant d’atteindre un sommet, nous offrant une vue imprenable sur les îlots. Ici tout est vert, le Greenland porte bien son nom. Retour au bateau pour 12:00, nous hissons la grand-voile et repartons pour 22 000 miles de navigation.

Sur notre route nous croisons des formes multiples de glace creusée, sculptée, tel un livre ouvert, ou le cousin du lièvre. Jaloux le bleu du ciel et quelques nuages s’essayent aussi au dessin.

Nous jetons l’ancre au mouillage de Kitsissuarsuit. Thierry nous prépare un apéro groenlandais. Tartine de foie de morue, des capelans, flétan fumé, harengs au vinaigre et au sucre… le tout arrosé d’un mojito. Ambiance conviviale assurée.

Vers 23:00 la magie opère et malgré que sous nos latitudes, nous n’ayons que 2h de nuit sans noir intense, la danse des aurores boréales nous attire tous à l’extérieur. Discrètes mais bien visibles, le vert joue la valse avec des jaunes timides. Elles ondulent leurs corps, se dérobant ensuite telle la fin d’un ballet. Ce soir, elles reviennent nous saluer et bien qu’elles soient de très faibles intensités, le spectacle des lumières multicolores dansant dans le ciel arctique est au rendez-vous, c’est une chance pour nous. Merci Pinguinono !

2:00 du matin, un énorme bruit réveille l’ensemble de l’équipage. Nous entendons sur le pont Thierry et Dédé qui s’affairent à  la manœuvre. Chacun reste dans son duvet, avec une pointe d’inquiétude. Le vent se déchaîne. Est-ce des icebergs qui sont rentrés dans le fjord avec le vent, tapant sur la coque ? Est-ce que l’encre a lâché nous propulsant contre un rocher ? Le bruit des pas, de la chaîne de l’encre, le moteur, marche arrière, marche avant… tout s’amplifie dans nos cabines.

Au petit matin, nous apprendrons que l’encre a dérapé et que nous avons touché le fond par la quille. Ils ont dû nous repositionner dans le mouillage.

30 août

Après cette nuit agitée, nous nous réveillons tous avec le sentiment d’avoir peu dormi. Le vent nous souffle la chansonnette dans les haubans. La crête des vagues est soufflée par le vent, ce qui indique que nous sommes par des vents d’environ force 7. Heureusement nous sommes sur un mouillage bien protégé ce qui évite de nous faire secouer, mais nous voyons au large une mer moins accueillante. 

La traversée en zodiac pour débarquer dans le village fantôme est légèrement humide. Nous déambulons dans le village abandonné d’Imerigsoq, maisons de bois en ruines, épaves de barques. Nous pouvons rentrer dans les bâtisses où le poêle trône encore à l’entrée, les dortoirs répartis de part et d’autre. L’école est au milieu du village, le tableau noir encore accroché au mur après 40 ans et les chaises rangées derrière les pupitres. On imagine très bien la vie de la classe.

Le relief de cet archipel aux nombreux îlots est exposé au vent violent et nous nous frayons un chemin entre la côte rocheuse entrecoupée de toundra herbeuse et de mousse dans laquelle nos pieds s’enfoncent.

De nouveau à bord, nous nous réchauffons avec une collation puis attaquons le déjeuner. J’ai peu évoqué les talents culinaires de notre skipper, mais chaque jour, c’est un vrai festival pour nos papilles. Aujourd’hui, poissons marinés sauce escabèche, salade de soja parsemée de cacahuète, pomme, oignon rouge et fromage. 

Le vent ne diminue pas. Sieste pour les plus sensibles aux roulis, jeux, lecture pour les autres. Finalement nous passerons l’après-midi et la nuit dans ce même mouillage.

31 août – Qatserutaassivik / Aassiaat

Le vent est encore fort ce matin, mais il nous faut absolument reprendre la mer pour arriver à Aassiaat. Nous faisons escale dans l’archipel à Qatserutaassivik sublime village. Comme tous les villages du Groenland, les maisons colorées sont comme posées sur le granit de l’île. Les skis sont rangés sur le râtelier, les traîneaux empilés devant les maisons attendant le retour de la banquise. Certains séchoirs font dorer au soleil poissons et viande de phoques. On a vraiment du mal à imaginer la vie ici dès que la banquise emprisonne le village. 

Après un déjeuner à bord, nous reprenons la navigation pour arriver à Aassiaat, ville économique (environ 3000 habiltants). De gros bateaux de pêche sont amarrés au port et nous retrouvons une activité presque oubliée depuis une semaine à bord. Nous débarquons avec notre équipe de jeunes pour faire un tour à la recherche disons-le d’un bar, pour se boire une bière avant de se quitter. Et oui, notre périple en voilier est terminé et demain chacun poursuit son chemin pour encore quelques jours au Groenland.

1 septembre – Aassiaat / Ilulissaat 

15 jours de Gand soleil, c’est assez incroyable après le 15 août au Groenland, qui plus est au-dessus du cercle polaire. Pourtant c’est sous un grand ciel bleu que nous quittons la Louise de bonne heure pour attraper notre ferry qui nous ramène à Ilulissat.

Ce soir, nous décidons de tenter un restaurant conseillé que les jeunes avec nous sur le voilier. C’est donc à l’hôtel Icefjord qui cultive la gastronomie groenlandaise authentique. Le poisson fraîchement pêché par les chasseurs locaux, le renne groenlandais et le musc sont parmi les principaux éléments de la restauration groenlandaise proposée ici. Bruno et moi choisirons une assiette fumée avec du bœuf musqué, du renne et de la baleine. Le tout est très fin et absolument pas fort en goût. Isabelle et Pierre préfèrerons la salade aux crevettes ou les saint-jacques dans une chapelure.

Nous continuons avec du bœuf musqué aux baies pour les hommes alors qu’Isa et moi préférons le snow Crab (crabe arctique). Tout cela a un goût rare d’inédit, d’authentique tandis que des icebergs défilent dans la baie par la fenêtre. Avant de rejoindrons nos appartements de l’autre côté de la ville, nous pouvons profiter d’un magnifique coucher de soleil sur la baie de Disko et ses icebergs. C’est fantasmagorique. Tout un nuancier de bleu, de pourpre, de rose et d’or vient colorer les reliefs de glace, c’est tout un paysage fugace, en mouvement. Nous restons un bon moment à admirer notre dernier coucher de soleil à Ilulissat. Le rose à l’horizon flotte encore au-dessus des icebergs bien après la disparition du soleil et nous non plus nous ne voulons pas nous en aller.

2 septembre – Ilulissaat / Kangerlussuaq 

Kangerlussuaq est l’étape obligatoire de tout voyage au Groenland : les vols internationaux passent forcément par son aéroport. Ça sera notre dernière étape. Cette municipalité fait la taille de la France. Pourtant cet espace compte seulement 850 habitants.

Ici le décor est encore différent, avec en fond la fascinante calotte glaciaire. C’est à cause de cet océan de glace de presque deux millions de kilomètres carrés que les villes se serrent sur les côtes, comme autant d’îlots isolés. C’est à cause d’elle qu’il n’y a pas de routes au Groenland, pas de chemins de fer, et aucune ville à l’intérieur des terres.

Aujourd’hui tout est gris, la langue glacière en frottant abrase la roche, créant ainsi du sable emporté par les eaux de fonte. Habituellement la rivière est pleine, mais comme l’été a été très sec, nous avons l’impression d’être dans une poussière grise transportée par le vent.

Nous nous installons dans notre « old Camp ». Des espaces collectifs et chacun une petite chambre pour la nuit que nous passons ici.

16:00, notre guide nous attend pour aller à la rencontre des bœufs musqués. Nous grimpons dans la montagne, les couleurs du lichen et de la bruyère contrastent avec la calotte glacière en fond et les lacs ici ou là. La calotte glacière bien que faisant parfois 3300 m de hauteur de glace recule provoquant une montée de la terre d’environ 2cm par an. Nos yeux caressent chaque recoin avec les jumelles espérant débusquer le bœuf musqué. Ce sont des animaux énormes, presque préhistoriques, que nous espérons voir autrement qu’empaillés dans la boutique de l’aéroport. Il paraît que la laine de bœuf musqué est la plus chaude qui existe sur Terre. Malgré notre patience nous ne verrons malheureusement que des rennes.

3 septembre – Fin de cette belle aventure Groenlandaise

Nous avons vu des choses que l’on n’imaginait à peine et une vie que l’on peine à concevoir en plein hiver.

  • La calotte glacière qui recouvre la quasi-totalité du Groenland. C’est grâce à elle que le Groenland ne ressemble à aucun autre pays au monde, qu’il défie l’entendement et éperonne l’imagination, qu’il donne le vertige et hypnotise les cœurs.
  • Des icefjords majestueux avançant inexorablement, étincelant sous un soleil arctique. Des chaos de glace et des icebergs bien plus haut que des immeubles. Des plaines recouvertes de lichens et bruyère arctique et de pierres
  • Des baleines nous offrant les plus beaux spectacles

Tous ces moments d’une beauté rare resteront gravés dans nos esprits et nos cœurs, car la chaleur des groenlandais habite profondément cet univers de glace. Cela restera un souvenir d’une perfection rare, un moment de pur bonheur suspendu au-dessus des glaces immenses.

Merci à PinguinVoyage de nous avoir permis de vivre ce voyage extraordinaire au Groenland. Merci à Thierry ( la Louise) et Jacky (Blue Ice)